L'escarre vue par le dermatologue

 Thierry LE GUYADEC, Marie Caroline CHENILLEAU
(mise à jour : 2006)

Le dermatologue n’a bien sûr pas de raison de prendre en charge une escarre  différemment d’un autre spécialiste! Même s’il est souvent appelé au chevet d’un malade surtout pour ses compétences en matière de pansement, il n’oubliera pas que la prise en charge de l’escarre ne peut être que globale et multidisciplinaire (un simple pansement n’a hélas jamais guérie une escarre…).Cette prise en charge a d’ailleurs été parfaitement standardisée dans la conférence de consensus de 2001 (parue entre autres dans Ann Dermatol Venereol 2002 ; 129 : 757 – 65 ou sur www.anaes.fr )

DÉFINITION

L’escarre est une zone localisée de nécrose tissulaire, se développant lors d’une compression des tissus mous, entre une proéminence osseuse et une surface externe sur laquelle repose le sujet.

QUELQUES CHIFFRES

  • L’escarre touche environ 250 000 personnes par an en France dont 14000 en meurent chaque année.
  • Elle concerne 3% des hospitalisés en général, mais 22% des hospitalisés de plus de 65 ans.
  • Plus de 35% des blessés médullaires en font une dans les 2 ans après l’accident, ce qui montre l’importance de l’éducation chez ces patients.
  • Le coût a été estimé en 1994 à plus de 100 000 F par escarre…
  • mais la plupart des escarres peuvent être évitées.

PHYSIOPATHOLOGIE

L’escarre résulte de l’association de facteurs extérieurs au patient, en particulier la pression exercée sur une surface limitée, et de facteurs liés au malade, avant tout l’immobilisation prolongée.

Facteurs extrinsèques

  • Pression +++ : Force perpendiculaire s’exerçant sur une surface limitée, surtout en regard des proéminences osseuses : la compression prolongée des tissus mous (> Pression de perfusion tissulaire) entraîne une ischémie tissulaire rapidement irréversible.
  • Cisaillement : S’exerce parallèlement au support, en particulier en position assise instable, au niveau de la région sacrée et des ischions en position demi assise.
  • Frottement et macération : Ce sont des facteurs aggravants par l’ouverture initiale de la peau ; ils augmentent lors de l’incontinence, du port de couches ; les malades doivent être soulevés et non tirés du plan du lit lorsqu’on les mobilise

Facteurs intrinsèques (liés au malade)

  • Immobilisation prolongée (+++) secondaire à des troubles neurologiques ou vasculaires : le patient qui ne ressent plus la gêne liée à la position couchée allongée ne mobilise plus spontanément ses points d’appui (rachis, os iliaques, calcanéums).
  • L’âge, la dénutrition, la déshydratation aggravent le tableau.

ÉTIOLOGIE

Escarres de décubitus  (+++)

  • la plus fréquente, liée à l’immobilisation prolongée,
  • la moitié des escarres du sujet âgé survient après un AVC ou une fracture du col fémoral,
  • peut survenir à tout âge lors d’une immobilisation prolongée : coma, réanimation, paraplégies post-traumatiques...

Escarres : complications

 

  • des atteintes sensitives lors d’affections neurologiques non traumatiques (neuropathie diabétique ou éthylique).
  • ou iatrogènes : sous plâtre, post opératoires...

CLINIQUE

Siège

Les zones de prédilection sont représentées par les zones d’appui avec une faible épaisseur de revêtement cutané ; par ordre de fréquence décroissante :

  • talons,
  • région sacrée,
  • régions trochantériennes et ischion,
  • malléoles,
  • Plus rarement : atteintes scapulaires, coudes, nuque...

 

Quatre stades évolutifs (classification du National Pressure Ulcer Advisory Panel, 1989) :

Escarre de stade 1

Stade 1 : érythème cutané qui ne blanchit pas lorsque la pression est levée (après 5 mn environ) ; œdème et induration localisée.

Escarre de stade 2

Stade 2 : atteinte de l’épiderme et d’une partie du derme : phlyctène séreuse ou hémorragique, abrasion superficielle

Escarre de stade 3

Stade 3 : atteinte complète de la peau (hypoderme) mais ne passant pas le fascia des muscles : aspect noirâtre, cartonné du tégument, entouré d’une bordure érythémateuse et oedémateuse.

Escarre de stade 4

Stade 4 : perte de substance atteignant et dépassant le fascia, pouvant impliquer muscles, os, articulations, tendons...

COMPLICATIONS

Infectieuses +++ : fonction de la proximité des émonctoires naturels et de l’état des défenses du malade ; il faut différencier simple colonisation bactérienne (physiologique, mais on retrouve des germes au prélèvement) et infection vraie : fièvre, signes inflammatoires locaux,  nature et densité des bactéries rencontrées, biologie (NFS, VS, CRP…)

  • Complications locales : cellulite infectieuse, fistules, abcès profond ; ostéite ou arthrite (IRM, Biopsie chirurgicale).
  • Complications générales : septicémie.

Extension des escarres, en nombre ou en taille.
Retard ou absence de cicatrisation :

  • Escarres atones : dénutrition, anémie, maladie métabolique ou vasculaire, mauvais soins locaux.
  • Hyper bourgeonnement : à cause de « pansements pro inflammatoires ».

Autres :

  • troubles métaboliques dans les escarres de grande taille ; hémorragie,
  • transformation cancéreuse,
  • décès.

RETENTISSEMENT PSYCHOSOCIAL ET SUR LA QUALITÉ DE VIE

Il  s’agit d’une maladie lourde et dévalorisante pour le patient :

  • gêne douloureuse ou morale : altération de la relation à autrui liée à la présence des plaies, de l’écoulement, des odeurs...,
  • sentiment de mort progressive chez le sujet âgé,
  • complications de l’hospitalisation prolongée : perte d’autonomie, complications iatrogènes, syndrome dépressif…,
  • coût pour le système de santé : prestations hospitalières, soins ambulatoires, heures de travail perdues...

TRAITEMENT PRÉVENTIF

Quelques remarques

Importance de la prévention et des mesures prophylactiques.
Toute personne s’occupant des malades à risque a un devoir d’alerte.
La prévention de l’escarre est une urgence.
Sa présence indique un défaut de vigilance

Savoir quels sont les facteurs de risque pour être vigilant :

Deux principaux :

- Mobilité réduite :

  • Neurologie : paralysie, coma, troubles de la conscience.
  • Chirurgie : pathologie orthopédique, mise en traction.
  • Réanimation : anesthésie, collapsus

- Troubles sensitifs :

 

  • Pathologie médullaire.
  • Neuropathie périphérique (diabétique, éthylique).

 

- Autres :

 

  • Dénutrition ++.
  • Age > 70 ans.
  • Amyotrophie des gens âgés ou polytraumatisés.
  • Maladies intercurrentes débilitantes.
  • Macération, mauvais état cutané.

Evaluer les facteurs de risque

On s’aide pour cela de différentes échelles, qui doivent avoir été validées par des études  [Norton (la plus simple) ; Waterloo ; Braden (la mieux validée, mais plus compliquée)]. Elles sont appliquées dès le contact initial avec le malade et régulièrement recalculée, en particulier en cas de séjour prolongé ou de modification de l’état du patient

Ces échelles servent par exemple de critères pour choisir le type de support anti escarre à commander.

Score supérieur à 15 : risque faible
Score inférieur à 12 : risque très élevé

Mesures générales de prévention

Leur mise en place commence dès l’identification des facteurs de risque. Elles s’appliquent à tout patient estimé à risque, mais visent aussi à éviter la survenue de nouvelles escarres chez les patients déjà porteurs d’escarre. Rappelons qu’elles concernent l’ensemble des professionnels de santé en contact avec le patient et pas seulement l’infirmière….Les mesures de prévention sont les suivantes :

Identifier les facteurs de risque :

  • jugement clinique + échelle validée,
  • élaborer une stratégie de prévention adaptée à chaque patient,
  • les soignants doivent être entraînés et formés à l’utilisation d’une échelle d’évaluation des risques

Contrôler les facteurs extrinsèques (pression, cisaillement, friction) :

- Diminuer la pression en évitant les appuis prolongés par la mobilisation, la mise au fauteuil, la verticalisation, la reprise précoce de la marche

  • On ne met rien sur une escarre… surtout pas le malade” (Raymond Vilain),
  • effectuer des changements de position : toutes les trois heures au lit, toutes les deux heures au fauteuil,
  • vérifier que les changements de position soient effectivement faits : expliquer leur importance à ceux qui doivent les effectuer ; utiliser une “pendule” (document écrit affiché dans la chambre que chaque soignant remplit quand il s’est occupé du patient : par exemple, changé de position à 15 h 00, etc.),
  • utiliser le décubitus latéral à 30° et non le décubitus latéral strict, car il réduit le risque d’escarre trochantérienne ; en présence d’escarres ischiatiques, laisser le malade au lit,
  • utiliser oreiller, traversin, « bananes » en mousse… pour positionner le malade,
  • éviter les radios, scanners, transports en ambulance… en laissant le patient longtemps allongé sur un support non approprié,
  • utiliser un support (matelas, sur matelas, coussin) adapté au patient, en fonction du risque présenté, y compris sur la table opératoire

- Eviter les forces de friction et de cisaillement

  • installation correcte au fauteuil (pas de position semi assise),
  • manutention adéquate du patient : deux personnes, potence, soulève malade

- Minimiser les facteurs intrinsèques

  • Assurer un équilibre nutritionnel en évaluant quantitativement les prises alimentaires ; maintenir un état d’hydratation correcte.
  • Le problème de la nutrition dans les escarres nécessiterait un chapitre à lui seul ; une méta analyse suggère en effet que les compléments nutritionnels oraux permettent de diminuer le risque d’escarre alors que cela n’est pas prouvé dans le traitement de l’escarre constitué.
  • En cas de patient à risque, une évaluation systématique et régulière de l’état nutritionnel est nécessaire en se basant : sur l’IMC, la notion de perte de poids dans les 6 mois, et bien sûr par une enquête clinique en s’aidant d’une échelle type Mini Nutritional Assessment.
  • Si une dénutrition est dépistée, il faudra envisager des apports hyper caloriques et hyper protidiques, et, en cas d’impossibilité, ajouter des suppléments alimentaires ou envisager une nutrition entérale.
  • Maintenir l’hygiène de la peau et éviter la macération par une toilette quotidienne.
  • Oserver de manière régulière l’état de la peau et les zones à risque (lors des changements de position, toilette…).
  • Le massage appuyé, les frictions des zones à risque, l’application de glaçons sont à proscrire car ils diminuent le débit circulatoire.

- Favoriser la participation du patient et de son entourage

  • information et actions éducatives ciblées en fonction du caractère permanent ou temporaire des escarres (autosurveillance, autosoulèvement),
  • une démarche d’amélioration de la qualité de la prévention des escarres dans les établissements de santé, l’élaboration et l’utilisation d’un protocole, l’évaluation des pratiques professionnelles sont recommandées.

TRAITEMENT DE L’ESCARRE CONSTITUÉE

Il faut toujours traiter le malade avant de traiter son escarre !

Le traitement doit être à la fois local et général. Il nécessite une prise en charge pluridisciplinaire, l’adhésion des soignants à un protocole de soins rédigé par une équipe compétente, ainsi que la participation active du patient et de son entourage. Il faut bien sûr intensifier les mesures de prévention pour limiter la constitution de nouvelles escarres.

Il faut toujours une description et évaluation initiale, mais aussi savoir assurer le suivi :

L’évaluation initiale :

  • sert de référence pour les évaluations ultérieures,
  • il faut une feuille de surveillance spécifique pour chaque malade,
  • noter le nombre d’escarres, leur localisation, leur stade ; mesurer la surface à  l’aide d’un calque et la profondeur par exemple en introduisant un écouvillon, puis en le mesurant ; noter l’état de la peau péri lésionnelle ; s’enquérir de la douleur grâce à une EVA.

Evaluation ultérieure :

  • permet l’ajustement des traitements et la continuité des soins,
  • topographie (schéma) ; surface et profondeur ; évaluation colorielle…,
  • transcription dans le dossier du patient (retour à domicile, transfert…).

Principes du traitement local

  • Traitement de la rougeur : supprimer la pression en changeant de position toutes les 2 à 3 heures ; si besoin (urines, macération) : protéger l’escarre débutante par un film ou un hydrocolloïde mince ; les massages appuyés, friction, l’utilisation de glaçon et sèche-cheveux sont interdits.
  • En cas de plaie : utilisation de sérum physiologique ou d’eau du robinet et du savon ; la plaie ne doit pas être asséchée.
  • Traitement de la phlyctène : évacuer le contenu, maintenir le toit, recouvrir avec un pansement hydrocolloïde ou gras.
  • Traitement de l’escarre constituée : assurer une détersion rapide de la plaie ; contrôle régulier à la recherche d’une collection sous-jacente, en particulier dans les escarres sacrées ; la détersion mécanique (en évitant saignement et douleur) est nécessaire, en s’aidant d’un hydrogel ou d’un alginate ; intérêt du VAC pour la détersion.
  • Le choix du pansement s’appuie sur l’aspect de la plaie (sèche, exsudative, malodorante…) et sa couleur  (échelle colorielle) :

- plaie anfractueuse : alginates, hydrofibres, hydrocellulaires forme cavitaire,
- plaie exsudative : alginates, hydrofibres,
- plaie malodorante : pansement au charbon ou à l’argent,
- plaie bourgeonnante : hydrocolloïdes, hydrocellulaires,
- bourgeonnement excessif : corticoïde local,
- épidermisation : hydrocellulaire, interface,

  • Traitement de l’escarre infectée: Il faut distinguer colonisation bactérienne, constante dans les plaies chroniques, utile, à contrôler par un nettoyage et une détersion des tissus nécrotiques et infection, définie par :

- Des critères cliniques :abcès, lymphangite, cellulite, adénopathies, apparition de nouvelles plaies autour, ostéite avec contact osseux.
- Des signes généraux : fièvre, hyperleucocytose, CRP augmentée…
- Bactériologie : plus de 105 germes par gramme de tissu biopsié.


Il n’y a pas d’intérêt démontré des antiseptiques ou des antibiotiques locaux dans ces escarres infectées. On peut s’aider du VAC, des alginates et des pansements au charbon ou à l’argent mais surtout des antibiotiques par voie générale, et bien sûr de la détersion chirurgicale rapide.

Evaluer la douleur et la traiter de façon adaptée :

  • évaluer : douleur présente en continue ou lors des soins? Intensité : EVA complétée de l’observation clinique (faciès, gémissements…),
  • traiter : utiliser des antalgiques selon la technique en 3 paliers de l’OMS, sans s’attarder plus de 24 à 48 heures sur un pallier inefficace, voire en utilisant d’emblée un opioïde fort en cas de douleur intense,
  • autres mesures : installation confortable, utilisation de supports, choix des pansements...

Utiliser un support adapté

L’intérêt d’un support adapté d’aide à la prévention et au traitement de l’escarre a été démontré en comparaison avec un matelas standard (grade A).

Leur choix dépend du risque d’escarre, des caractéristiques du patient, et des ressources humaines et en matériel disponibles.

Les supports ont été regroupés en 3 concepts :

  • Concept 1 : support statique en matériau épousant la forme du corps du patient et répartissant les pressions sur l’ensemble des zones en portance : matelas de mousse (+++), de mousse et d’air, (à eau), sur matelas…
  • Concept 2 : support dynamique travaillant de façon discontinue : une pompe électrique gonfle et dégonfle alternativement les boudins, la zone étant donc alternativement placée en appui et en suspension : Ex :  sur matelas à air alterné type Alternating.
  • Concept 3 : support dynamique travaillant de façon continue : le patient est en aérosuspension avec des pressions qui restent partout très faibles : Ex : matelas et sur matelas à air assurant une aérosuspension type Nimbus,(lit fluidisé type Clinitron), lits à air électriques type Klin air.


On s’aidera des critères de choix édictés par l’ANAES :

 

  • Sur matelas statique : pas d’escarre et risque d’escarre peu élevé et patient pouvant se mouvoir dans le lit et passant moins de 12 heures/J au lit.
  • Matelas statique : idem mais patient passant moins de 15 h au lit.
  • Sur matelas dynamique (système alterné) : patient ayant eu des escarres  ou ayant une escarre peu profonde ou à risque élevé d’escarre, passant plus de 15 h au lit et incapable de bouger seul.
  • Matelas dynamique (de façon continue ou discontinue) : escarre > stade 2 et malades ne pouvant bouger seul au lit.



(Les critères de choix d’un coussin de siège sont encore plus délicats).

Corriger les états de dénutrition

  • Voir avec les diététiciennes pour un apport calorique d’au moins 2500 à 3500 cal/J, enrichi en protéines (au moins 1 g/kg/j), par l’alimentation normale, avec des compléments nutritifs voire par sonde gastrique.
  • Surveiller les troubles hydro électrolytiques ; vérifier les niveaux de zinc, fer, vitamine C.

Le traitement chirurgical

 Est parfois nécessaire en cas de nécrose tissulaire importante, d’exposition des axes vasculo-nerveux, des os ou en cas d’infection (voir ce chapitre).

CONCLUSION

L’escarre, nécrose ischémique par compression de la peau et des tissus sous cutanés, suppose 2 facteurs pathogènes : immobilité et non perception de la douleur.
Sa prévention est une urgence de la vigilance du personnel soignant (échelle de Norton).
Le traitement préventif comporte : changement de position, adaptation des supports et mesures d’hygiène.
Dans l’escarre constituée, le traitement curatif est indissociable de la poursuite des mesures préventives.

Diagnostic et traitement des escarres