Escarres : physiopathologie, et point de vue du chirurgien plasticien
Françoise RIMAREIX
(mise à jour : 2006)
L’escarre peut, dans certaines conditions, être évitée. Si on envisage cette pathologie de ce point de vue, tout est plus clair et on peut alors discuter de manière optimale de prévention et de traitement.
Dans cet exposé, nous envisagerons successivement la physiopathologie des escarres et la prise en charge chirurgicale.
PHYSIOPATHOLOGIE

Comment en arrive-t-on à cette situation ?
Mécanismes de constitution
L’escarre est une lésion tissulaire ischémique résultant d’une pression, on voit donc déjà qu’il existe une inégalité des patients devant ce risque.
Il existe des facteurs mécaniques et des facteurs cliniques de constitution.
Facteurs mécaniques :
Il y en a trois principaux : la pression, la friction et la macération.
La friction augmente les effets tissulaires de la pression qui elle-même a une répercussion directe sur les tissus et la vascularisation.
La macération présente en cas d’incontinence urinaire ou fécale augmente les effets de la pression.
Il peut s’agir soit d’une pression faible mais durant dans le temps (patient alité) soit d’une pression élevée mais brève (patient paraplégique assis sur ses ischions). On définit des zones à risque de développer une escarre : zone de danger ou zone de sécurité en fonction de courbes entre pression et durée d’application.
La sensibilité des tissus à la pression est variable en fonction de leur vascularisation : le muscle très vascularisé est beaucoup plus sensible que la peau. Ceci explique les différences de localisation d’escarre : plus fréquents sur les tissus osseux que sur les tissus matelassés.
On comprend déjà pourquoi le handicapé moteur fait souvent des escarres ischiatiques : il est en pression permanente sur les ischions et pourquoi le patient de réanimation fait des escarres sacrées de décubitus.
On appelle « l’effet hamac » la variation de la pression d’occlusion capillaire inversement proportionnelle au cisaillement.
Les répercussions tissulaires de la pression sont les suivantes :
- lyse des protéines telles que l’actine, le collagène, l’élastine par des enzymes,
- action majeure de l’enzyme protéine kinase C,
- action sur la rigidité des membranes tissulaires,
- réduction de l’activité fibrinolytique des tissus et donc augmentation du risque de thromboses.
Les répercussions vasculaires en découlent :
- obturation des capillaires,
- aggravation sur une saillie osseuse,
- lésions des parois endothéliales des artérioles et des capillaires,
- altération des échanges entre les tissus et les vaisseaux.
Facteurs cliniques :
Des éléments cliniques peuvent modifier la qualité du collagène tissulaire, la perfusion tissulaire et l’oxygénation des tissus. Différents facteurs agissent sur la qualité du collagène tissulaire :
- l’âge,
- la corticothérapie au long court,
- les apports nutritionnels,
- les lésions médullaires.
Les facteurs qui affectent la perfusion et l’oxygénation des tissus sont les suivants :
- pression artérielle,
- pression oncotique,
- drainage lymphatique,
- température,
- taux d’hémoglobine.
D’autres facteurs affectent la vascularisation des tissus, c’est le cas des pathologies neurologiques ; l’atteinte motrice aggrave les répercussions tissulaires des contraintes mécaniques. L’atteinte sensitive altère le signal douloureux de l’appui. Enfin, la spasticité entraîne des attitudes vicieuses des membres majorant les pressions en appui.

Classification épidémiologique
Cette classification nous permet de savoir quel patient traiter en fonction de ces facteurs de risque et de sa pathologie initiale.
Nous classons les patients en trois groupes :
- escarre accident,
- escarre symptôme de la maladie terminale,
- escarre du blessé médullaire.
Escarre accident
Elle survient chez un patient qui allait bien et qui au décours d’une pathologie brutale se retrouve alité. Il peut s’agir d’une escarre de réanimation chez un patient hospitalisé pour une pathologie cardiaque ou autre, un coma diabétique... D’autant plus que des facteurs de risque existent : morphologie obèse ou cachectique, troubles de la sensibilité par atteinte neurologique périphérique.
Au départ, l’escarre est une pathologie accessoire car on s’occupe de la vie du patient, puis linfirmière est abandonnée face à l’escarre, une aggravation peut survenir alors que la pathologie initiale se stabilise ou guérit.
L’escarre accident est une escarre du sacrum, de décubitus ; on intervient chirurgicalement si la maladie causale est guérie ou en rémission et si la perte de substance ( PDS) est de grande taille, trop large pour une cicatrisation spontanée.
Tous les éléments développés dans les facteurs de constitution rentrent en compte : il faut lutter contre l’hypoxie tissulaire, soulager la pression par des supports adaptés, éviter les macérations en traitant une incontinence urinaire par sondage ou une incontinence fécale par régularisation du transit, alimentation parentérale ou entérale, régler les troubles hydro électrolytiques, traiter une hyperthermie.
Finalement, le plus important est de mettre en place des supports adaptés tels que des lits à eau ou dans l’idéal des lits à air à pression dynamique variable et de faire des soins de nursing suffisamment souvent. Mais tout ceci est actuellement du domaine du rêve car il faudrait un personnel suffisant et non minimum…

Escarre symptôme de la maladie terminale
C’est une escarre que nous allons traiter de plus en plus souvent avec le vieillissement de la population. Le problème est essentiellement éthique. Il est discutable de proposer une chirurgie lourde chez un patient qui ne la supportera pas forcément, il est tout aussi difficile de laisser mourir un patient avec ses escarres, c’est la perte d’autonomie, la déchéance physique, la douleur et l’humiliation qui sont tellement dures à gérer pour la famille et les soignants. On arrive donc à une chirurgie au cas par cas.
Escarre du patient neurologique
Un handicapé moteur sur quatre fera une escarre chirurgicale au cours de sa vie.
Ceci pour trois raisons : l’absence de motricité qui augmente les pressions d’appui et leur durée, l’absence de douleur par déficit de sensibilité et aggravation de ces phénomènes par des contractures dans le cadre d’un handicap spastique.
Nous classons les escarres du handicapé médullaire en trois groupes :
- escarre aigue post- traumatique,
- escarre accidentelle, escarre « dépression ou hospitalière »,
- escarre du récidiviste.

a - escarre aigue post traumatique : c’est celle qui survient après l’accident ayant causé le handicap, en réanimation, il s’agit d’une escarre de décubitus, sacrée le plus souvent.
Elle est chirurgicale car sinon le patient ne peut pas débuter sa rééducation et sa mise au fauteuil.
b - escarre accidentelle : le patient se prend bien en charge, mais un incident survient dans ce ciel serein : la dépression ou l’hospitalisation. Le handicapé dépressif qui reste toute la journée sur son fauteuil. Le handicapé hospitalisé dans un service qui n’a pas l’habitude des para ou tétraplégiques, pour un problème urologique ou digestif, le support n’est pas adapté, le nursing n’est pas fait et l’escarre se constitue rapidement. C’est pour cette raison qu’il faut créer des unités chirurgicales de prise en charge des patients handicapés médullaires, des lieux où toute la personne handicapée est prise en charge et non pas seulement une pathologie.
c - escarre du récidiviste : 30% des patients handicapés opérés d’escarres récidivent, le plus souvent sous des formes graves, avec des escarres majeures, confluentes du siège, qui mettent en jeu le pronostic vital. Il s’agit soit de mauvaise prise en charge du handicap par le patient lui- même, soit d’une déstabilisation majeure du bassin chez un patient multi opéré.
Le patient qui se néglige, qui refuse son handicap, qui vit assit toute la journée est un récidiviste, il est souvent abandonné socialement et médicalement. L’escarre est pour lui un mode de suicide. Sa prise en charge est difficile : la chirurgie est à dimension spirituelle car il faut aussi traiter sa dépression et l’aider à gérer son handicap
Les déstabilisations du bassin sont finalement plus simples à gérer, il faut reconstruire des ischions, étudier la station assise et les pressions, traiter des déformations rachidiennes.
C’est aussi un problème éthique et philosophique : faut-il traiter pour la n ième fois un patient qui va récidiver ?

Exemple d’une escarre lombaire du récidiviste chez un patient atteint de spina bifida avec déformation du rachis.
Classification anatomique
Elle nous permet de savoir quel type de PDS va être traité, sa taille et sa profondeur. Il existe beaucoup de classifications, mais il suffit d’en connaître une pour l’appliquer à chaque escarre. Voici celle qui est proposée par notre service.
Stade I : nécrose cutanée et sous cutanée
Le traitement est chirurgical si la taille de la PDS est large et difficile à cicatriser par soins locaux.
L’excision de nécrose purulente ou sèche doit se faire au lit, par l'infirmière avec un bistouri, en dehors de troubles de l’hémostase ou d’une anticoagulation efficace.
Elle est indolore car on excise des tissus nécrotiques.
Le type de couverture est discuté en fonction de la localisation, il s’agit le plus souvent de lambeaux cutanés ou fascio- cutanés.
Stade II : nécrose cutanée avec poche de décollement sous jacente
La peau en regard est plus ou moins altérée, il peut même s’agir d’une escarre à peau conservée où c’est simplement à la palpation qu’on perçoit une collection fluctuante par décollement de la bourse séreuse d’un trochanter ou d’un ischion. Il faut un traitement chirurgical pour exciser toute la poche et ainsi traiter les zones septiques. La PDS sera profonde et la couverture effectuée par lambeau musculo- cutané.

Poche de décollement découverte en per opératoire après excision d’une escarre ischiatique
Stade III : nécrose musculo- aponévrotique
Le traitement est toujours chirurgical car la PDS est profonde et large, il faut apporter une couverture qui soit un bon matelas pour l’os et le patient. Il faut faire des lambeaux musculo- cutanés épais et larges qui permettent de s’asseoir dessus sans souci.

Stade IV : Ostéite associée
Le diagnostic est clinique mais souvent per opératoire sur l’aspect osseux en « sucre mouillé » qui se délite au contact. Toute escarre profonde sur un os entraîne une ostéite, le traitement n’est pas une antibiothérapie, c’est la chirurgie. Toutes les explorations préalables tels que scanner ou scintigraphie sont totalement inutiles et superflues.
Stade V : atteinte des tissus nobles et des viscéres
Il s’agit d’escarres profondes qui peuvent léser soit l’urètre, soit le rectum, soit une articulation. Dans ce cadre, chaque organe doit être traité spécifiquement. On doit traiter une fistule urinaire par dérivation avant la réparation des escarres, on doit faire une colostomie si l’escarre est trop proche de l’anus, on doit traiter spécifiquement une arthrite de hanche développée sur une escarre du trochanter.


Exemple d’une escarre stade V avec atteinte de l’urètre, du rectum et arthrite de hanche, le traitement a consisté en une excision et une couverture par utilisation du membre inférieur désarticulé en lambeau venant recouvrir la fesse

Gangrène périnéale sur escarre confluente du siège.
Grâce à ces deux classifications, on sait maintenant quel patient traiter chirurgicalement et quel type de chirurgie pratiquer en fonction de la taille et de la profondeur de l’escarre. Il nous faut maintenant opérer… mais tout n’est pas rose et aujourd’hui en France cette chirurgie est un véritable marasme.
MARASME DE LA PRISE EN CHARGE CHIRURGICALE DES ESCARRES

Le traitement médical de l’escarre est long et difficile.
Les différents pansements sont discutés, même les référentiels ne sont pas d’accord, les produits varient dans les services en fonction des laboratoires pharmaceutiques qui passent, ce sont des recettes de cuisine qui font office de référentiels, le marketing en tête.
La chirurgie se discute lorsque l’escarre est profonde, ou lorsque une fois la cicatrisation acquise, cette dernière est instable, se ré ulcérant au moindre appui. Il faut que la cicatrice soit fonctionnelle et que le patient puisse s’asseoir dessus sans aucun risque.
Le problème de la chirurgie est difficile : il faut des unités spécialisées qui prennent en charge le patient dans sa globalité et pas seulement son escarre. Ces unités sont donc difficiles à gérer : personnel hyper spécialisé, durée moyenne de séjour longue (18 jours pour notre unité), prix de journée lourd ( près de 2000€ dans notre unité), en raison des supports, des antibiotiques coûteux.
Sur le plan chirurgical, c’est le même problème : c’est une spécialité entre la chirurgie plastique et l’orthopédie, il faut avoir des connaissances solides en bactériologie et en infectiologie. Cette chirurgie n’est quasiment pas enseignée.
En France, il ne reste que quelques centres s’occupant spécifiquement de chirurgie du handicapé médullaire. Cette pathologie ne semble pas être considérée par les pouvoirs publics comme prioritaire. C’est pourtant un problème majeur de santé publique. De plus, en l’absence de revalorisation des services de suites de soins et de rééducation, il est très difficile de faire sortir nos patients du service de chirurgie, c’est un véritable casse tête chinois.
La liste d’attente de la France (métropole et Dom Tom) est très longue alors que cette pathologie est une urgence infectieuse. Il est facile de faire reposer la faute du retard de prise en charge sur les médecins directement alors que les administratifs nous coupent les moyens.
C’est donc un véritable cri d’alarme que je lance ici : d’ici cinq ans, en l’absence de création de centres chirurgicaux spécifiques du handicapé médullaire, ces derniers décéderont d’escarre en France au XXIe siècle.
PRÉPARATION A LA CHIRURGIE
La préparation locale nécessite des pansements quotidiens ou biquotidiens à l’eau boriquée à 3% en compresses imbibées. Ce type de soins décontamine et favorise le bourgeonnement.
Il y a une contre indication formelle aux pansements macératoires.
La préparation générale associe : renutrition, traitement d’une anémie, correction de troubles hydro électrolytiques, ECBU, gestion du transit et des urines.
Il est indispensable de préparer les suites opératoires : où aura lieu la reprise de la station assise ? A domicile, en centre ?
Il faut gérer le problème social et traiter une dépression si besoin.
C’est le patient dans sa globalité qui est appréhendé et non pas seulement son escarre.
TECHNIQUES CHIRURGICALES
Excision de l'escarre
L’excision doit être carcinologique, emportant la totalité des tissus nécrotiques et macroscopiquement infectés. On pratique des prélèvements de la superficie à la profondeur et on ne traite par antibiotiques que les germes retrouvés en profondeur après excision.





Couverture
Elle s’effectue dans le même temps que l’excision le plus souvent. On pratique un lambeau qui va couvrir la PDS par translation ou rotation, ce lambeau peu être plus ou moins épais en fonction de la profondeur de l’escarre. Il peut s’agir d’un lambeau cutané, fascio- cutané ou musculo- cutané.
LAMBEAU MUSCULO- CUTANÉ de GRAND FESSIER en VY pour ESCARRE SACRÉE
Il s’agit d’un lambeau musculo- cutané prélevé sur le muscle grand fessier, vascularisé par des branches soit de l’artère fessière, soit de l’artère ischiatique. Le lambeau est dessiné entre l’escarre en médian, l’anus en bas, le trochanter en dehors et l’aile iliaque en haut, c’est donc un triangle à base sacrée et pointe trochantérienne. Le lambeau est prélevé sur le muscle qui vascularise la peau et transféré sur l’escarre excisée. On ferme directement le site de prélèvement en VY.



LAMBEAU MUSCULO- CUTANÉ DE GRAND FESSIER en ÎLOT pour ESCARRE ISCHIATIQUE
Il s’agit d’un lambeau musculo- cutané, prélevé sur le muscle grand fessier avec un îlot de peau en regard, il est vascularisé soit par des branches de l’artère fessière soit par des branches de l’artère ischiatique. On le prélève entre escarre et trochanter, en zone non portante et on le place sur l’escarre excisée par rotation en le passant sous un pont cutané.
La zone donneuse est directement refermée.
Il constitue une rustine pour l’ischion. Il est indiqué pour de petites escarres ischiatiques loin de l’anus.









Autre exemple d’escarre ischiatique droite traitée par îlot de grand fessier.
LAMBEAU MUSCULO- CUTANÉ d’ISCHIO- JAMBIERS en VY pour ESCARRE ISCHIATIQUE
Il s’agit d’un lambeau de peau et de muscle qu’on prélève sur les muscles de la face postérieure de la cuisse, il est vascularisé par trois branches artérielles issues de la fémorale et qui rentrent dans les muscles à la partie supéro interne du lambeau. On le prélève en traçant un triangle dont la base est ischiatique et la pointe à la partie moyenne de la cuisse.
Il est prélevé et ascensionné vers le haut pour être placé sur l’escarre, la zone donneuse est refermée en VY.
Il matelasse bien une grosse escarre ischiatique proche de l’anus.



LAMBEAU de TENSEUR de FASCIA LATA pour ESCARRE TROCHANTÉRIENNE
Il s’agit d’un lambeau fascio cutané prélevé sur la face externe de la cuisse emportant une aponévrose nommée "fascia lata", qui recouvre le muscle vaste externe, l’artère de ce muscle aborde le lambeau à sa partie supérieure. Il est prélevé sur la cuisse entre trochanter et épine iliaque antéro supérieure, on le met en place sur l’escarre trochantérienne excisée par rotation, la zone donneuse est refermée soit directement soit par une greffe de peau si elle est trop large.
Il permet de bien matelasser le trochanter.
On rappelle que toute escarre trochantérienne même minime doit être traitée chirurgicalement car elle fait le lit de l’arthrite coxo fémorale qui est elle-même responsable de septicémie.
La sanction thérapeutique sur une arthrite de hanche est lourde puisqu’il faut réséquer la tête et le col fémoral et il n’est pas question de mettre une prothèse dans ce contexte hautement septique.





Technique du traitement de l’arthrite de hanche : voie d’abord de la hanche par le lambeau, résection tête et col fémoral.

LAMBEAU PLANTAIRE INTERNE pour ESCARRE du TALON
L’escarre du talon est rarement chirurgicale chez le handicapé car ce n’est pas une zone portante. On l’opère si elle représente ce qu’on appelle une épine irritative avec aggravation des contractures dans le cadre d’une spasticité.
Après excision, on prélève un lambeau plantaire interne entre la tête des métatarsiens et l’escarre, ce lambeau est vascularisé par le pédicule plantaire interne, branche de l’artère tibiale postérieure, il est disséqué et transféré sur le talon par rotation.
La zone donneuse est greffée dans un deuxième temps.



Ci-dessous : exemple d’une escarre talonnière chez une patiente marchante de 15 ans (spina bifida évoluant de puis 10 ans) : excision et lambeau plantaire interne




MICROCHIRUGIE
Dans certains cas plus rares où l’on ne dispose pas suffisamment de peau ou de muscle à proximité de l’escarre excisée, il est nécessaire d’aller la chercher ailleurs, on prélève un lambeau libre c'est-à-dire un morceau de peau et de muscle avec son artère et sa veine et on rebranche les vaisseaux de ce lambeau sur les vaisseaux à proximité de l’escarre pour couvrir la PDS.
Il s’agit d’une chirurgie beaucoup plus lourde à réserver à des indications très particulières.
Ci-dessous : exemple d’une couverture de plante de pied après excision d’une escarre sur mal perforant chez un diabétique, utilisation d’un lambeau libre prélevé sur la face antérieure de l’avant bras :




GESTION DES SUITES OPÉRATOIRES
Des drains aspiratifs sont mis en place : un dans la zone donneuse du lambeau, un dans la zone de l’escarre excisée, ces drains sont mis régulièrement en culture et font modifier les antibiotiques si nécessaire. Ils sont retirés quand ils se tarissent.
Un protocole antibiotique est mis en place en post-opératoire immédiat, associant pénicilline et métronidazole pendant 48 heures, ils sont modifiés avec les résultats des cultures des prélèvements per opératoires puis avec celles des drains. En cas d’infection des parties molles le traitement est en moyenne de 10 à 15 jours, en cas d’infection osseuse, il est de 30 à 45 jours.
Les supports sont adaptés pour éviter un nursing trop intensif : de préférence des lits à air à pression dynamique variable. Les lits à eau sont insuffisants en post opératoire, le lit fluidisé est abandonné car trop coûteux, encombrant et moins efficace. N’oubliez pas que même sur un support adapté les talons sont souvent en pression et nécessitent l’adjonction de protections particulières type peau de mouton, ou support de mousse.
Gestion des urines : mise en place d’une sonde à demeure pendant la première semaine post-opératoire pour éviter les fuites et la macération.
Gestion alimentaire : Une renutrition est le préalable indispensable à la prise en charge chirurgicale d’une escarre, elle l’est aussi en post-opératoire, le malade dénutri ne cicatrisera pas quelque soit le geste chirurgical.
Il faut traiter les troubles du transit par un protocole préventif, en effet, le handicapé médullaire se met facilement en occlusion fonctionnelle après la chirurgie par iléus réflexe.
L’apparition de diarrhées doit être traitée au plus vite pour éviter une contamination massive sous le lambeau.
En cas de diarrhée liquide comme de l’eau ; penser au clostridium difficile, et traiter après coproculture par Flagyl.
La station assise est strictement interdite pendant les 45 jours post-opératoires. Le patient peut se mettre à 45° dans son lit mais pas plus, sinon la traction sur les cicatrices est excessive. La station assise est ensuite reprise de manière progressive selon un protocole précis : une demi heure matin et soir la première semaine, une heure par jour la deuxième, une heure matin et soir la troisième, deux heures matin et soir la quatrième, trois ou quatre heures par jour la cinquième. Au-delà et à vie, le patient qui a été opéré d’escarres doit respecter des consignes strictes : ne pas s’asseoir en continu plus de quatre heures, se mettre en décharge sur les mains le plus souvent possible (si paraplégie), si ce patient travaille il doit s’aménager des plages de station allongée dans la journée. Ces règles sont strictes mais indispensables pour éviter des récidives, une nouvelle hygiène de vie débute donc après chirurgie d’escarre .
L’ablation des fils et des agrafes se fait au 21e jour post-opératoire, la peau des handicapés médullaires ayant des capacités faibles de cicatrisation.
Gestion sociale et psychologique : elle est fondamentale, il faut trouver des solutions d’hébergement des patients pour les suites, traiter une dépression, expliquer le handicap, éviter les récidives.
GESTION DES COMPLICATIONS
Complications immédiates
- Nécrose du lambeau : il s’agit d’une faute chirurgicale, il faut réopérer, exciser et refaire un lambeau.
- Hématome : traitement médical ou chirurgical en fonction de son abondance, mais l’hématome fait le lit de l’infection, il ne faut jamais le négliger.
- Désunion : soit par traction mécanique excessive soit désunion septique ; elle va conduire à la reprise chirurgicale.
- Infection : on retrouve des germes différents des prélèvements per opératoires dans le drain, il faut les traiter par antibiotiques et re nettoyer chirurgicalement si l’infection persiste.
Complications à distance
- Récidive précoce : c’est un échec de la chirurgie, le plus souvent c’est une récidive septique, on a laissé un foyer inaperçu ou les antibiotiques n’ont pas eu l’efficacité escomptée, il faut réopérer.
- Récidive tardive : soit par négligence du patient, soit par déséquilibre du bassin. Il faut discuter avec le patient, évaluer ses habitudes de station assise et étudier les pressions en charge afin de rééquilibrer le bassin ou le rachis. A ce propos, il faut toujours être parcimonieux dans la résection de l’ischion osseux sous peine de reporter les pressions de l’autre côté.
En conclusion, la chirurgie des escarres nécessite une bonne connaissance de son patient et de sa pathologie. Il faut apprécier au mieux la taille et la profondeur de l’escarre afin de juger de la nécessité d’un lambeau.
Enfin, cette chirurgie, lorsqu’on la pratique pour un patient handicapé, ne peut pas se faire en dehors de centres hautement spécialisés prenant le patient dans sa globalité.
Il y a urgence à revaloriser la prise en charge de cette pathologie qui pourrait être prévenue par des mesures simples et une bonne éducation du handicapé.
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