Radiodermites aiguës
Docteur Eric BEY
(mise à jour : 2006)
Les radiodermites se définissent comme des lésions cutanées dues aux radiations ionisantes. C’est en 1901 que Becquerel décrivit la première brûlure par irradiation aigue localisée après avoir placé dans sa poche une source de radium. Ces radiolésions sont donc la conséquence d’exposition aux rayonnements ionisants soit de manière accidentelle, professionnelle mais aussi thérapeutique. Ces lésions cutanées peuvent être aigues ou chroniques selon la dose. Le risque évolutif pour les lésions chroniques est la cancérisation.
Après un rappel sur la physique des rayonnements ionisants, nous étudierons les effets des radiations et plus particulièrement les principales caractéristiques de la brûlure radiologique. Les principes thérapeutiques seront illustrés par des cas cliniques.
RAYONNEMENTS IONISANTS
L’atome est normalement neutre et stable. Il est représenté par une lettre symbole caractérisée par son nombre de masse A (nombre de protons et de neutrons dans le noyau) et par son numéro atomique Z (nombre de protons égal au nombre d’électrons). Un élément chimique est un corps simple constitué d’atomes identiques entre eux. Certains éléments sont instables, on les appelle des radioéléments. Ils se transforment spontanément (désintégration ) en émettant des rayonnements ionisants et en donnant naissance à un élément fils stable ou radioactif . Ainsi se définit la radioactivité: désintégration d’un élément avec émission d’un rayonnement.
Parallèlement à cette radioactivité naturelle, Irène Curie et Frédéric Joliot ont découvert en 1934 la radioactivité artificielle en bombardant une feuille d’aluminium par des particules alpha. Créant ainsi un nouveau radio-isotope. Ils démontrent ainsi qu’il est possible de créer des radio-isotopes artificiels à partir d’éléments stables. Les rayonnements sont dits ionisants lorsqu’ils possèdent une énergie suffisante pour arracher un électron à un atome. On distingue les rayonnements corpusculaires (alpha, béta, protons, neutrons) peu pénétrants, et les rayonnements électromagnétiques ou photons (X et gamma) très pénétrants.
Rayonnement alpha α :
- Noyau d’hélium constitué de deux protons et de deux neutrons.
- Peu pénétrant : stoppé par une simple feuille de papier ou par la couche cornée de l’épiderme, ne provoque donc pas de radiodermite.
- Emis par les poussières radioactives qui suivent une explosion nucléaire.
- Dangereux en contamination interne.
Rayonnement béta β :
- Electron.
- Parcours dans l’air de quelques mètres, arrêté par quelques dixièmes de millimètres de métal.
- Emis par les accélérateurs de particules, ils délivrent une dose maximale à la peau et sont donc utilisés en radiothérapie cutanée superficielle.
- Dangereux en contamination externe.
Rayonnement gamma γ :
- Photons d'origine nucléaire.
- Très pénétrant, plusieurs centaines de mètres dans l’air, atteint plusieurs centimètres dans le plomb.
- Utilisé en radiothérapie, stérilisation.
- Dangereux en exposition et contamination externe.
Rayonnement X :
- Photons, origine électronique.
- D’autant plus pénétrant que leur énergie est élevée.
- Radiodiagnostic, radiothérapie conventionnelle et radiothérapie de haute énergie en carcinologie profonde (maximum de dose absorbée à plusieurs centimètres sous la peau, dose quasi-nulle à la peau).
UNITÉS UTILISÉES EN RADIOPROTECTION
L’activité : L’activité d’un radioélément se caractérise par le nombre de désintégrations par seconde. Cette activité se mesure en becquerel (Bq) : 1 Bq = 1 désintégration par seconde.
La demi-vie : Encore appelée « période radioactive », elle correspond au temps nécessaire pour que la moitié des atomes initialement présents se désintègrent.
La dose absorbée : On appelle dose absorbée l’énergie communiquée à la matière vivante par unité de masse par le rayonnement ionisant .Symbolisée par la lettre « D », elle s’exprime en gray (Gy).
1 Gy = 1 joule par Kilo de matière.
Le débit de dose : Le débit de dose est la dose reçue par unité de temps exprimé en gray par minute. C’est un paramètre important pour définir les effets biologiques. En effet, si un individu est irradié par des rayons γ sur le corps entier à la dose de 5 Gy en quelques heures, la probabilité qu’il décède est de 50%, alors que la même dose administrée en plusieurs mois aura des effets biologiques à peine décelables. C’est la notion de dose fractionnée. La dose de 5 Gy, administrée en une seule fois au corps entier, est appelée la « dose létale 50 ».
DIFFÉRENTS MODES D'EXPOSITION
Exposition externe :
Irradiation externe : elle est fonction
- de la distance source-peau,
- du temps d’exposition,
- d’une éventuelle interposition entre la source et la peau.
On distingue les irradiations externes « globales » (corps entier) des irradiations externes « localisées ».
Contamination externe : due à la présence sur les phanères de substances radioactives soit sous forme liquidienne soit sous formes de particules solides.
On comprend aisément pourquoi il est possible de décontaminer et impossible de désirradier.
Exposition interne :
Encore appelée contamination interne, elle est due à la pénétration de radionucléides dans l’organisme soit par inhalation, soit par ingestion, ou encore par passage systémique par l’intermédiaire d’une plaie.
TYPES D'EFFETS INDUITS PAR LES RAYONNEMENTS IONISANTS
- Effets déterministes : Lésions spécifiques qui sont systématiques, doses dépendantes et n’apparaissant qu’au dessus d’un certain seuil.
- Effets stochastiques : Effets aléatoires, indépendants de la dose, sans seuil. Les lésions évoluent progressivement pour leur propre compte, même après l’arrêt de l’irradiation. Classiquement, ce sont les effets néoplasiques et génétiques.
Le syndrome aigu d’irradiation globale :
Le syndrome aigu d’irradiation se manifeste par :
- Le syndrome initial caractérisé par des troubles fonctionnels réversibles durant les 24 premières heures : asthénie, anorexie, nausées, vomissements, hyperthermie, troubles du sommeil.
- La phase de latence asymptomatique.
- La phase d’état caractérisée par :
- le syndrome hématopoiétique : > 1Gy, anémie, leuconeutropénie (hémoragies aigues, infections)
- le syndrome gastrointestinal : > 7 Gy, diarrhées, ulcérations
- le syndrome neurovasculaire : > 50 Gy désorientation temporo-spatiale, crise convulsive, coma, HTIC, décés dans les 48 heures.
Le syndrome d’irradiation localisé :
Les rayonnements agissent donc sur la matière vivante par transfert d’énergie entraînant au niveau moléculaire (effet direct) une division en radicaux libres qui vont agir à leur tour (effet indirect) sur de nouvelles molécules donnant lieu à de véritables réactions en cascade. C’est ainsi qu’à partir d’un nombre limité de radicaux libres, produits au moment de l’irradiation, un grand nombre de molécules organiques peuvent être altérées même après l’arrêt de l’exposition. Par ailleurs, lors d’une irradiation, même très importante, la composition cellulaire reste peu modifiée. Ainsi pour expliquer les effets des radiations on présume qu’il existe une atteinte des molécules primordiales pour la cellule et en premier lieu l’ADN support de l’information génétique et de la synthèse des protéines. La cellule met alors en œuvre des systèmes de réparation de l’ADN . Cette réparation peut être:
- Fidèle avec une survie cellulaire normale,
- ou fautive avec mutation entraînant sur les cellules somatiques une cancérisation et sur les cellules germinales des anomalies héréditaires.
- Impossible, c’est l’effet léthal avec mort cellulaire et nécrose.
Ainsi, pour qu’un effet soit décelable au niveau tissulaire, il faut que la dose d’irradiation entraîne suffisamment de lésions létales. On définit ainsi la dose seuil au dessus de laquelle la gravité de l’effet est directement fonction de la dose reçue. Cette dose seuil est très variable d’un tissu à l’autre mais reste la même pour un tissu identique chez tous les individus d’une espèce. Les effets des radiations sur les tissus sont essentiellement dus à leur action sur les cellules souches, qui sont les cellules les plus radiosensibles. Les cellules sont d’autant plus radiosensibles qu’elles sont peu différenciées ainsi les lésions immédiates provoquées par irradiation varient en fonction des tissus dans l’ordre de sensibilité décroissant suivant : cellules lymphoïdes, gonades,cellules prolifératives de la moelle osseuse, cellules épithéliales de l’intestin, épiderme, cellules hépatiques, épithélium des alvéoles pulmonaires, cellules épithéliales du rein, cellules endothéliales, cellules nerveuses, cellules osseuse, tissu musculaire et conjonctif.
Les lésions vasculaires et conjonctives participent principalement aux atteintes des différents tissus.
Les lésions vasculaires sont marquées par des phénomènes de vascularite avec des lésions précoces qui rendent compte des symptômes fonctionnels initiaux (phénomènes inflammatoires, thrombose et ischémie) mais des lésions tardives pouvant être réactivées plusieurs années plus tard par un traumatisme extérieur.
Au sein du tissu conjonctif, on observe une fibrose radioinduite pathologique avec fibrose interstitielle, capillaire et septale. Cette fibrose explique aussi les lésions tissulaires tardives.
Lésions au niveau de la peau :
Au niveau de l’épiderme, après une exposition à de faibles doses inférieures à 1 Gy, on constate une diminution de production des cellules épidermiques, principalement des kératinocytes au niveau de la couche basale qui au bout d’une vingtaine de jours se trouve mise à nu caractérisée par une desquamation sèche.
Au niveau du derme, l’irradiation provoque une dilatation des capillaires avec un érythème mais les lésions endothéliales associées entraînent une occlusion vasculaire avec ischémie, un chorion atrophique, avasculaire qui gène la prolifération des fibroblastes processus de réparation du derme. L’irradiation à faible dose provoque surtout des effets à long terme qui peuvent apparaître après plusieurs mois : on distingue donc les effets précoces qui sont épidermiques des effets tardifs qui concernent le derme.
Les follicules pileux sont rapidement détruits de façon temporaire pour une dose de 2 à 3 Gy mais définitivement à partir de 20 Gy : historiquement, ce sont les premiers effets biologiques qui ont été décrits avec épilation mais il existe également une atteinte des glandes sébacées et sudoripares.
Au niveau du tissu cellulo-graisseux sous cutané on retrouve les lésions classiques des tissus conjonctif et vasculaire.
Au delà d’une dose de 20 Gy, on assiste à une radionécrose aiguë dermo-épidermique ;
à la différence des irradiations répétées à faible dose avec un intervalle de temps suffisant permettant la régénération cellulaire pour lesquelles on n’observe pas de lésions épidermiques aigues mais qui peuvent entraîner une modification lente et progressive du derme donc de la structure cutanée qui devient sèche, atrophique avec des télangiectasies caractéristique des radiodermite chroniques.
Ainsi nous distinguons les radiodermites aigues accidentelles (accidents d’exposition fonction du type de rayonnement et de la dose initiale) des radiodermites chroniques (expositions involontaires professionnelles répétées d’où l’importance des mesures de radioprotection, ou à la suite d’irradiation thérapeutique). Voir aussi le chapitre de Sylvie Delanian sur les radiodermites chroniques.
ASPECTS CLINIQUES
Les réactions cutanées précoces : radiodermites aiguës
- La phase initiale : est caractérisée par un érythème.
- La phase de latence clinique : peut durer plusieurs semaines, sans signes physiques associés en dehors de la persistance d’un œdème. Les signes fonctionnels sont dominés par un prurit et une sensation de chaleur.
- La phase d’état : est directement liée à la dose initiale :
- Pour une dose initiale de 10 Gy apparition d’une desquamation caractéristique d’une radiodermite sèche.
- Pour une dose initiale de 15 Gy : l’atteinte de la couche basale met à nu le derme qui laisse suinter du plasma. Cette ulcération est typique d’une radiodermite exsudative. (fig. 1)
- Pour une dose initiale de 25 Gy, à l’atteinte de la couche basale s’ajoute celle des cellules endothéliales du tissu sous-cutané avec ischémie et nécrose .Ce phénomène peut apparaître d’emblée mais peut aussi évoluer par poussées successives sur plusieurs années. Ces lésions vasculaires peuvent entraîner des lésions à distance en dehors des territoires présumés irradiés. C’est la radionécrose ou radiodermite nécrotique. (fig. 2 , 3, 4)






























Les réactions cutanées tardives : radiodermites chroniques
On distingue deux types de radiodystrophie :
Les lésions se stabilisent et aboutissent à une radiodystrophie simple avec :
- atrophie épidermique et sclérose dermique aboutissant à une sécheresse cutanée,
- dyschromie,
- télangiectasies.
Ou bien les lésions évoluent dans le temps sans atteindre d’équilibre cicatriciel aboutissant à une radiodystrophie évolutive avec :
- la radionécrose qui est souvent la complication de la radiodermite scléro-atrophique. Survenant avec ou sans facteur déclenchant (traumatisme, infection), il s’agit d’une ulcération plus ou moins profonde, atone, pouvant intéresser les structures sous-jacentes ( muscle, os) et dont l’évolution spontanée ne se fera jamais vers la cicatrisation. (fig. 5, 6).
- La transformation maligne en de véritables cancers radio-induits : il s’agit de carcinomes, surtout spinocellulaire dont on connaît le risque métastatique. C'est la complication la plus redoutée des radiodermites chroniques, qui surviendrait dans 20 % des cas.







TRAITEMENT
Le traitement des radiodermites chroniques est chirurgical, il consiste en l’exérèse de toute la zone atteinte dont les limites peuvent être floues. La couverture de la perte de substance doit être réalisée dans le même temps puisqu’il est illusoire d’espérer une quelconque cicatrisation dirigée ou la formation d’un tissu de granulation. Cette couverture obéit aux principes de chirurgie plastique, de la qualité du sous sol dépend le type de couverture. La greffe dermo-épidermique peut suffire, mais bien souvent il faut faire appel à un lambeau. Dans le cas d’un lambeau pédiculé, nous privilégions un lambeau à pédicule définitif évitant lors du sevrage d’un lambeau à pédicule transitoire une souffrance possible. Dans le cas d’un lambeau libre, les anastomoses doivent être réalisées si possible à distance sur des vaisseaux « sains » en zone non irradiée.
Les indications sont licites en cas de radionécrose douloureuse ou bien en présence de radiodystrophies évolutives avec des lésions dyskératosiques et un risque de transformation maligne.
Dans le cadre des accidents d’irradiation, avec lésion localisée, s’il est impossible de désirradier, la prise en charge des lésions tissulaire est également chirurgicale avec cependant deux attitudes très distinctes.
La première consiste à réaliser un parage large de la zone de nécrose une fois celle-ci constituée. Mais bien souvent ces parages sont itératifs devant le processus évolutif de la lésion pouvant aboutir à de véritables mutilations.
La deuxième attitude, moins codifiée, plus avant-gardiste, consiste à une exérèse préventive, précoce, avant même la présence d’une nécrose étendue. Les limites d’exérèse sont prédéterminées par des techniques physiques permettant d’établir des courbes isodoses délimitant des régions irradiées dont l’évolution ne se fera inexorablement que vers la nécrose. Il s’agit là d’une méthode dont l’efficacité reste à évaluer et qui ne peut s’appliquer que si l’anamnèse de l’accident est très précise tant sur la source , la distance de la source par rapport à l’organisme et la durée d’exposition.
Enfin, on se doit d’insister sur la prévention dans le cadre de maladies professionnelles par le respect des mesures de radioprotection.