Panorama de la cicatrisation

La cicatrisation est une propriété fondamentale des êtres vivants. L'ADN des chromosomes de la cellule se répare lorsqu'il est lésé. La membrane d'une cellule cicatrise. Les plantes blessées cicatrisent. Les animaux blessés cicatrisent. Les organes blessés cicatrisent. Parmi eux, la peau a un rôle de premier plan puisque c'est la barrière qui isole le milieu intérieur du milieu extérieur. Lorsque la peau est blessée, les agents physiques, chimiques et microbiens du milieu extérieur pénètrent dans le milieu intérieur, et inversement les liquides du milieu intérieur se déversent vers l'extérieur. Or la peau est un organe vital : lorsqu'elle est détruite sur une grande surface, et en l'absence de soins appropriés, le blessé meurt.

Comme tous les organes, la peau cicatrise. Sans cette propriété, aucune chirurgie ne serait possible, pas même la moindre suture. Et toutes les plaies deviendraient chroniques. Cela n'est heureusement pas le cas général. Seules deviennent chroniques les plaies qui surviennent sur un terrain malade ou fragile. Lorsque ces plaies ne sont pas très étendues, ce qui est le cas le plus fréquent, celui qui en est atteint ne meurt pas. Bien au contraire, l'élévation du niveau de vie des pays occidentaux lui permet actuellement de survivre de plus en plus longtemps. De plus en plus d'individus fragiles survivent de plus en plus longtemps. Les plaies chroniques apparaissent donc en plus grand nombre, et durent de plus en plus longtemps. Et comme toujours, les problèmes de santé publique s'expriment évidemment en termes financiers.

Cela explique que la cicatrisation cutanée est à la mode. Son exploitation par les laboratoires et par les fabricants de pansements représente en effet un marché extraordinaire. Malheureusement, si beaucoup de progrès ont été faits en matière de connaissance fondamentale des mécanismes intimes de la cicatrisation, aucune application pratique ne permet encore d'accélérer réellement la cicatrisation. Les célèbres "facteurs de croissance" apportent toujours plus d'espoir que de cicatrisation véritable. Si de très nombreuses variétés de pansements sont proposées aujourd'hui dans le commerce, les plaies chroniques ne cicatrisent pas plus vite qu'autrefois. Certes, le confort du patient peut éventuellement être augmenté par le choix judicieux d'un pansement qui peut filtrer les mauvaises odeurs, qui peut absorber des exsudats abondants, ou qui peut ne pas nécessiter de changements trop fréquents, mais le patient vit toujours avec sa plaie, désespérément chronique. "Moins démunis que l'australopithèque blessé, nous cicatrisons cependant encore comme lui" écrivait Raymond Vilain à ce sujet il y a 30 ans. Nous ne cicatrisons ni plus ni moins vite. Et nous continuons à ne pas cicatriser dans les cas défavorables.

Aucun progrès n'a été fait en matière d'accélération de la cicatrisation, à l'exception notable de la chirurgie plastique, qui permet actuellement de recouvrir à peu près n'importe quelle perte de substance cutanée, quel que soit son siège, sa nature ou ses dimensions. Les différents types de greffes cutanées et les multiples lambeaux possibles permettent en effet de raccourcir considérablement le temps de cicatrisation spontanée, et/ou de réduire les séquelles fonctionnelles liées à la rétraction cicatricielle. Mais toutes les plaies ne relèvent évidemment pas d'une intervention de chirurgie plastique. D'une part, la grande majorité des plaies traumatiques peut cicatriser spontanément et/ou après une simple réparation par suture. Quant aux plaies dites "chroniques" d'autre part, elles ne sont chroniques que parce que les mécanismes naturels de la cicatrisation sont défaillants. La raison en est que les personnes sur lesquelles ces plaies se développent ont un problème de santé qui les empêche de cicatriser. Par exemple, les vaisseaux sont bouchés (artérite, varices, séquelles de phlébite, lymphoedème, irradiation, etc.), l'innervation sensitive est perturbée (polynévrites, paraplégie, tétraplégie, section nerveuse, etc.), ou l'oxygène n'est pas transporté correctement depuis les poumons jusqu'aux tissus (drépanocytose et autres anémies). Ces causes empêchent souvent de proposer une intervention chirurgicale sur ces terrains fragiles, et à défaut de pouvoir cicatriser réellement, les patients apprécient alors le confort des pansements modernes. Tout l'art du thérapeute consiste alors à choisir le pansement le plus adapté et le moins cher, tout en luttant contre la douleur éventuelle, et en surveillant régulièrement non seulement la plaie mais encore le patient lui-même (poids, température) pour dépister et traiter d'éventuelles complications.

Schéma d'aide à la décision pour la guérison d'une plaie aigüe en vue de sa cicatrisation

Beaucoup de croyances classiques, beaucoup d'habitudes anciennes, beaucoup de dogmes et de rituels doivent être remis en question, surtout s'ils sont nuisibles et/ou s'ils sont coûteux. C'est en particulier le cas des antiseptiques, dont il est clairement établi aujourd'hui qu'ils n'ont aucun intérêt dans une plaie, surtout si elle est chronique. Ils ne sont utiles que sur la peau saine, avant de la franchir pour pratiquer un acte invasif. Dans tous les autres cas, l'eau du robinet ou le sérum physiologique suffisent à nettoyer les plaies, par leur simple action mécanique. Dans certains cas, cette dernière peut être complétée par un coup de ciseaux ou de curette stériles. Et cela suffit.

Il ne faut pas non plus imaginer que le pansement a pour but de protéger la plaie contre les microbes venus de l'extérieur. Comme tout le reste du corps, la plaie est couverte de microbes, depuis le premier jour. Car ces microbes ne viennent pas de l'extérieur, mais du patient lui-même. Il ne servirait à rien de vouloir les tuer à coups d'antiseptiques ou d'antibiotiques. Cela ne ferait que sélectionner les microbes les plus résistants qui, eux, peuvent être dangereux pour le patient et pour son entourage. Il ne sert à rien non plus de faire des prélèvements bactériologiques sur une plaie lorsqu'il n'existe pas de rougeur périphérique ni de fièvre. A quoi bon dépenser de l'argent pour connaître le nom des microbes du moment s'ils sont inoffensifs ? Il est normal de trouver du pus au stade de détersion initiale. "Paix sur la plaie aux germes de bonne volonté" disait encore Raymond Vilain. Car les microbes sont le plus souvent de bonne volonté : ils participent activement à la détersion initiale de la plaie. Bien que nous n'en soyons pas conscients à cause de leur petite taille, nous vivons en symbiose permanente avec les microbes. Et nous n'avons aucun intérêt à chercher un conflit avec eux lorsqu'ils se tiennent tranquilles et ne manifestent pas leur présence par des signes cliniques "infectieux". Laissons donc de côté dans ce cas les antiseptiques et les antibiotiques. Et pourquoi même utiliser systématiquement des pansements aux vertus antiseptiques ? Lorsque ces vertus sont réelles, elles ne font que participer à cette sélection de germes résistants qui a contribué à l'explosion depuis 20 ans du taux des infections nosocomiales, sans aucun bénéfice pour le patient ni pour la société.

Lorsqu'enfin la cicatrisation a été obtenue, commence alors la vie de la cicatrice, qui nécessite des soins propres pendant plusieurs mois, parfois même plusieurs années, avant de pouvoir être considérée comme stable et définitive. Car toutes les cicatrices sont définitives : il reste encore malheureusement impossible de "gommer" ou de faire disparaître une cicatrice. Les illusions tenaces et répandues concernant les effets supposés bénéfiques du "laser" ou de la "chirurgie esthétique" doivent être combattues lorsqu'elles concernent les cicatrices. S'il est parfois possible d'améliorer un peu l'aspect de certaines cicatrices particulièrement visibles, les résultats n'ont malheureusement pas le caractère miraculeux qu'on aurait pu souhaiter. Nos connaissances pratiques en matière de cicatrisation sont si balbutiantes qu'il est même impossible dans la majorité des cas de prévoir l'aspect final d'une cicatrice. Ce n'est pas parce que la technique de suture a été parfaite que la cicatrice sera nécessairement fine et discrète. Le résultat, imprévisible, ne peut être apprécié qu'un an après la suture ou la greffe. Ainsi, il n'est actuellement pas plus possible d'accélérer la vitesse de la cicatrisation que celle de la maturation de la cicatrice.

Toutes ces incertitudes ne doivent toutefois pas faire oublier toutes nos connaissances actuelles, qui sont multiples, comme on va le voir dans ce livre qui est écrit par les enseignants du diplôme universitaire de cicatrisation des plaies, brûlures et nécroses de l'université Paris 7.

La cicatrisation : généralités et méthodes thérapeutiques